Dans le monde du cyclisme professionnel, la suspicion de moteurs électriques cachés dans les vélos appelé communément "dopage mécanique" plane sur le peloton comme un nuage de plomb. Derrière les exploits, une question revient avec insistance : jusqu’où les coureurs sont-ils prêts à aller pour franchir les lignes d’arrivée en tête, et à quel prix pour l’intégrité de leur sport ?
L’origine du soupçon remonte à l'ère Cancellara, symbole d’un doute qui n'a jamais quitté les esprits. Le 4 avril 2010, lors du Tour des Flandres, le Suisse Fabian Cancellara laisse ses rivaux médusés lors d'une attaque fulgurante dans le Vieux Quaremont. Quelques gestes inhabituels captés par les caméras (main posée à proximité de la potence, accélérations spectaculaires) suffisent à enflammer forums et réseaux sociaux. Bientôt, la rumeur enfle : un moteur électrique serait caché dans son vélo. Impossible à prouver à l'époque, mais le doute s’inscrit durablement dans l’imaginaire collectif.
Du fantasme à la réalité : les premiers cas avérés
Si jusqu’en 2016, le mythe du moteur électrique restait au stade du soupçon, l’affaire Femke Van den Driessche marque un véritable tournant : lors des Championnats du monde espoirs de cyclo-cross à Zolder, une batterie et un micro-moteur sont découverts dans le cadre de son vélo. La belge est disqualifiée, le cyclisme entre officiellement dans l’ère du soupçon mécanique.
Depuis, des cas isolés apparaissent ponctuellement, touchant même les rangs amateurs et semi-professionnels en France ou en Italie. Malgré la médiatisation, la peur d'être démasqué et les sanctions renforcées par l'UCI ont cependant limité la multiplication des cas avérés, sans pour autant faire disparaître les interrogations. Loin de là.
DES MOTEURS PERFORMANTS !
les moteurs électriques clandestins utilisés (ou suspectés) chez les cyclistes professionnels sont miniaturisés et étudiés pour être indétectables, délivrant un surcroît de puissance intermittent de 40 à 250 W grâce à une petite batterie, cachés dans le cadre ou la roue, loin des standards d’un moteur VAE “grand public”, beaucoup plus volumineux et visible. L’activation se fait souvent via un bouton caché sous le cintre ou une commande Bluetooth camouflée, permettant au coureur de solliciter le moteur au moment voulu sans éveiller les soupçons.
Pour lutter contre cette fraude technologique, l’Union Cycliste Internationale (UCI) a musclé son arsenal avec l'utilisation de scanners portables à rayons X, le déploiement de caméras thermiques à l’arrivée et sur le bord des routes, de l'expertise de spécialistes de la police scientifique, sans oublier le recueil de témoignages anonymes. Les vélos suspects sont passés au crible, parfois démontés pièce par pièce. L’UCI prévoit désormais des contrôles systématiques à l’issue de chaque étape sur les grandes courses, avec à la clé la disqualification et de lourdes amendes en cas de tricherie avérée.
Entre paranoïa et prévention : un climat électrique
Dans certains reportages, images et ralentis à l’appui, chaque accélération musclée, chaque bruit mécanique suspect relance la machine à fantasmes. Les rumeurs de moteurs ultra-compacts, intégrés dans le boîtier de pédalier ou le moyeu d’une roue, prospèrent… jusqu’à l’irrationnel pour certains observateurs techniques.
Il est vrai que ce flou technologique entretient une culture du soupçon qui, selon plusieurs acteurs du peloton, empoisonne l’ambiance : "Entre paranoïa et prévention", note un expert interrogé, il devient difficile de saisir la frontière entre innovation légale et fraude délibérée. Et c'est là tout le problème.
L’enquête permanente d’un peloton sous surveillance
A ce jour, malgré des contrôles systématiques et un consensus général sur l’existence du phénomène, aucun grand nom du cyclisme professionnel n’a jamais formellement été condamné pour dopage mécanique sur les plus grandes courses. Pourtant, la simple présence de la technologie et quelques cas spectaculaires suffisent à alimenter le climat de suspicion.
L’enquête sur les moteurs électriques cachés appartient aujourd’hui autant à la réalité qu’au roman noir du cyclisme. Faute de preuves fréquentes, le sport tout entier se trouve régulièrement jugé à l’aune de la rumeur tant la frontière entre performance surhumaine et suspicion mécanique semble parfois bien mince.
NICK RAUDENSKY INCARNE LA VOLONTÉ DE L'UCI
Nick Raudenski joue un rôle central et stratégique dans la lutte contre la fraude technologique au sein du cyclisme professionnel. Nommé par l’Union Cycliste Internationale (UCI) à la tête de ce secteur en mai 2025, il est chargé d'élaborer et de diriger une stratégie globale pour lutter contre toute forme de triche mécanique, notamment l'utilisation de moteurs électriques cachés dans les vélos. Par son expérience internationale en matière d’enquêtes dans le sport et son action pour moderniser les outils de lutte, Nick Raudenski incarne la volonté de l’UCI de renforcer la transparence et de faire de la tolérance zéro envers la triche technologique une priorité du cyclisme mondia
Comment le peloton professionnel réagit-il face à ces soupçons de dopage, y compris mécanique, avec méfiance, divisions et parfois hostilité vis-à-vis des initiatives destinées à renforcer la transparence ? Plusieurs équipes coopèrent volontiers avec les mesures proposées, tandis qu’une partie importante du peloton exprime son opposition, notamment lorsqu'il s'agit de nouveaux standards de suivi mis en place par des instances comme l’Union cycliste internationale (UCI) ou des organismes scientifiques indépendants.
Comme nous l'avons constaté, cela crée des clivages profonds : certaines équipes, essentiellement francophones (comme AG2R et FDJ), collaborent à des programmes de contrôle avancés, alors que d'autres grandes formations internationales, souvent représentées par leurs avocats, tentent de freiner ou d'amender ces démarches, évoquant notamment des problèmes de confidentialité des données sensibles sur l'entraînement, la santé ou le budget des coureurs.
Des mesures sont envisagées pour renforcer la transparence
La résistance à plus de transparence s’explique en partie par la crainte d’une trop grande exposition médiatique ou par la volonté de protéger des secrets professionnels vis-à-vis de la concurrence. Certains managers s’inquiètent explicitement que les informations recueillies dans le cadre d'études universitaires ou de nouveaux protocoles puissent servir à d’autres équipes ou à nuire à la réputation de leurs leaders sportifs.
Pour renforcer la transparence, plusieurs mesures sont débattues ou partiellement mises en œuvre comme le partenariat avec des universités pour un suivi scientifique rapproché des équipes et des coureurs. La formalisation accrue des obligations de transparence vis-à-vis de l’UCI est aussi mise en avant en intégrant ces critères dans l’octroi des licences World Tour. Elles sont censées conditionner la participation aux plus grandes courses.
Autre mesures envisagées : le déploiement de dispositifs techniques de lutte contre la fraude mécanique (scanners électroniques, caméras thermiques) et le contrôle systématique des vélos lors des épreuves majeures (cette mesure a déjà été appliquée lors de certains Grands Tours).
Quant au passeport biologique du coureur, qui centralise toutes les données de tests antidopage et d’analyses sanguines/hormonales, il permet de détecter d’éventuelles variations suspectes même sans contrôle positif immédiat.
Innovation récente, l'introduction du carton jaune dans le cyclisme est une sanction nouvelle pour comportements antisportifs, destinée à dissuader tricherie et pratiques douteuses sur et hors du vélo, espérant renforcer la discipline dans le peloton. A l'exemple de Brian Coquard, sanctionné cette année sur le Tour de France lors de la chute de Jasper Philipsen.
Enfin, au sein du peloton, le discours reste ambivalent : si certains grands noms appellent à clore le débat en communiquant sur leurs méthodes et en prônant la tolérance zéro, d’autres dénoncent le climat permanent de suspicion, qui fragilise l’ensemble du sport et alimente la défiance du public.
Notre constat : la question de la transparence reste donc à la fois un enjeu sportif et une bataille politique, étroitement liée aux intérêts économiques et à la lutte de pouvoir entre fédérations, organisateurs et équipes concurrentes. Quant à la rumeur d'un moteur électrique, elle a de beaux jours devant elle...
Henry Salamone FRANCE SECRÈTE À VÉLO