Loïk Le Floch-Prigent :  Cet énorme défaut du capitalisme français qui plombe les tentatives de réindustrialisation du pays dans l’indifférence générale
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Article N°25251

Loïk Le Floch-Prigent : Cet énorme défaut du capitalisme français qui plombe les tentatives de réindustrialisation du pays dans l’indifférence générale

Trois ans après leur fusion, l’assemblée générale du vendredi 21 mai a marqué la fin du pacte d’égalité des pouvoirs entre Essilor et Luxottica. Cette nouvelle répartition des pouvoirs suscite de l’inquiétude pour les syndicats et les 4 500 salariés français.
 

Atlantico : Trois ans après la fusion entre Luxottica, numéro un mondial des montures de lunettes, et le fabricant français de verres correcteurs Essilor, l’assemblée générale du vendredi 21 mai a mis fin au pacte d’égalité des pouvoirs entre les deux parties. En effet, le président-fondateur de Luxottica Leonardo Del Vecchio a placé son homme de confiance, Francesco Milleri, au poste de directeur général. Est-ce là un énième fleuron français qui va nous échapper ?

Loïk Le Floch-Prigent : La fin de cette histoire était courue d’avance seuls la presse française et les banquiers d’affaires ont cru que cette fusion « entre égaux » allait être une grande victoire française ! Il y a toujours un partenaire plus « égal » que l’autre, et là il était clair que c’était le fondateur de Luxottica qui avait en mains son capital en face de mercenaires avec un capital très dilué entre des acteurs non industriels. Cette fusion était-elle nécessaire ? Il faudrait être un expert des lunettes pour le dire, mais jusqu’alors Essilor s’était bien débrouillé seul et c’était un succès français incontestable porté par Xavier Fontanet et une participation du personnel très originale. On peut donc dire que c’est encore un fleuron français qui nous a quitté dans une indifférence quasi-générale, même si les Italiens sont sympathiques !


Alors que Luxottica est dirigé par Leonardo Del Vecchio, un entrepreneur historique et expérimenté qui détient 32% du capital d‘ EssilorLuxottica, Essilor a à sa tête une équipe de managers que d’aucuns diraient interchangeables. Le défaut français n’est-il pas de vouloir faire du capitalisme sans capital ?

Effectivement la tentation de certaines « élites » françaises est de faire du capitalisme sans capital, et cela ne date pas d’hier ! Nous avons des droits de succession pour les entreprises familiales très élevés par rapport à nos voisins allemands ou italiens, et nous comptons sur des fonds institutionnels pour réaliser les augmentations de capital. Ceci conduit beaucoup d’entreprises à être « Opéables » et à contraindre les dirigeants vieillissants à engager des négociations de reprise avec des sociétés étrangères. Des grandes entreprises au capital réparti entre une multitude d’acteurs uniquement motivés par des plus-values et d’autres entreprises familiales à la reprise fragilisée par les droits de succession, on peut dire que la France n’a toujours pas compris comment le capitalisme fonctionnait et surtout comment conserver nos fleurons industriels. Il a fallu des familles patriotes comme Dassault ou des stratagèmes de fidélisation imaginatifs comme avec Air Liquide, mais tout cela devient rare. Il va falloir regarder la réalité en face, rien n’a été fait pour conserver nos belles industries comme rien n’a été pensé pour conserver nos jeunes pépites : nous sommes soit cupides soit idiots !

Pensez-vous qu’il existe une volonté de sciemment se priver des instruments de la réindustrialisation française ?

On peut sans crainte d’être démentis soupçonner les banquiers d’affaires d’être essentiellement motivés par l’argent à gagner dans le démantèlement de l’appareil industriel national comme on l’a vu dans la tragi-comédie Véolia-Suez, mais pour l’administration qui devrait veiller à l’avenir de notre industrie, on peut plutôt parier sur l’incompétence ! Elle ne sait pas faire la différence entre une entreprise à capitaux français avec de épargnants nationaux et une autre avec des financiers saoudiens ou chinois ! Ni le Gouvernement ni les fonctionnaires ne veulent regarder la réalité : une compétitivité industrielle insuffisante due à une fiscalité abusive et une bureaucratie normative et règlementaire absurde et donc des épargnants qui fuient le risque industriel. Si l’on y rajoute les délires du « principe de précaution » et celui du « délit d’écocide », on voit que cette France serait heureuse sans industrie ! Mais personne n’assume cet abandon et les écharpes bleu/blanc/rouge affluent dès qu’une industrie disparait, hypocrisie ou irresponsabilité, comment choisir ?

Peut-on rester dans la course sur le plan industriel sans capitaine d’industrie pour porter le secteur et faire rayonner la France ? Quelle stratégie faudrait-il adopter selon vous ?

Il existe des capitaines d’industrie en France, dans les grandes, les moyennes et les petites industries ! On n’en parle pas beaucoup et ils cravachent tous les jours, vivant leurs produits et bataillant contre tous, gouvernement, administrations, medias, avec le patriotisme d’entreprise chevillé au corps et le sentiment de travailler pour le pays tout entier, leur personnel et les localités où ils sont implantés. Mais beaucoup d’entreprises industrielles ont été prises en main par des « élites administratives » qui vivent dans l’entre-soi et dans un univers de complaisance où l’intérêt de l’entreprise et celui du pays ont disparu. C’est ce qui explique depuis quelques années, et souvent avec une certaine accélération, la disparition de beaucoup de nos fleurons industriels, il faut que le pays  reconnaisse et  soutienne les vrais industriels  s’il veut conserver un tissu industriel vivant. L’industrie ce n’est pas de la communication, ce n’est pas du théâtre, c’est vivre le produit, la production, innover, transformer, mobiliser le personnel, et grandir, se développer, conquérir… ce n’est pas se préparer à vendre son affaire au plus offrant ! Il faut savoir reconnaitre les capitaines d’industrie et les appuyer  en organisant un capitalisme français avec des capitaux français, des épargnants français rémunérés quand ils prennent le risque industriel. Un changement à opérer, vite !


Loïk Le Floch-Prigent

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