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Article N°15089

Reportage: Une nuit avec les sans-abris de Manhattan

                                                                                                                                                                                                                                                                            Temps de lecture: 7 minutes

Depuis des mois, à New York City, le nombre de SDF bat des records.
Cette nuit, dans la ville, plus de 58 000 SDF dormiront dans les foyers pour sans-abris. Et c'est sans compter tous ceux qui passeront la nuit sur les trottoirs, dans les parcs, dans les stations de métros, etc. Les politiques adressant cette crise se succèdent, sans succès.
Mais il existe à Manhattan une petite association qui continue à aider les sans-abris, un sandwich au beurre de cacahuètes à la fois.
Que peut vraiment accomplir une poignée de bénévoles là où les institutions ont failli?

Ce dimanche comme tous les dimanches depuis trois ans, les bénévoles de l'association «10000PB&J's» se rassemblent à l'est de Manhattan, dans un local au coin de la 11ème rue.
Ce soir ils sont sept, l'ambiance est bonne enfant alors qu'ils disposent, dans des petits sachets blancs, les repas qui seront distribués cette nuit.
Le menu comprend une bouteille d'eau, deux sandwichs au beurre de cacahuètes et des bonbons au chocolat: «Ce sont des petites choses qui rappellent l'enfance, ça redonne le sourire parfois.» explique Julie, infirmière de 33 ans qui fête ce soir ses deux ans au sein de l'association.

«Écoute et considération sont les mots clés de l'action» me dit-on, les volontaires savent que les pauvres sont souvent stigmatisés: «alcooliques, drogués, criminels...» Mais ici, un seul terme désigne les SDF: «Nos voisins».
«On aimerait pouvoir aider à loger tout le monde, mais ce n'est pas dans nos moyens, confie Christine,n°2 de l'association, nous espérons qu'un repas chaque semaine et qu'un peu de gentillesse compte pour quelque chose»

Une fois que les repas sont prêts, les bénévoles se partagent le secteur de distribution, tous ou presque ont l'intention de retrouver un sans-abris avec qui ils ont tissé une relation de confiance:
«Tu crois que l'on va voir la vieille dame, Maggs, ce soir? lance Julie à Christine
-Peut-être, je sais que P.J va la chercher ce soir.»
P.J Collins est le fondateur de l'association, c'est lui qui, un soir de janvier, après avoir croisé un énième mendiant et alors qu'il rentrait en métro chez lui, décide de préparer 10000 sandwichs au beurre de cacahuètes et de les servir aux sans-abris. C'est à présent plus de 1000 bénévoles qui ont suivi PJ dans son initiative.

Il est 22 h, c'est dans la nuit fraîche que PJ Collins se sépare du groupe et démarre une nouvelle nuit de distribution.

Au pied d'un immeuble, PJ repère un jeune trentenaire, ce dernier accepte le repas avec un grand sourire puis, entre les remerciements, nous parle de sa compagne, enceinte de jumeaux: «Un garçon et une fille, on l'a appris aujourd'hui» annonce-t-il fièrement.

Quelques rues plus loin, c'est une mère que nous croisons, elle reconnaît P.J mais semble distraite, elle accepte le repas avec un faible sourire sans jamais quitter le coin de la rue du regard. Elle guette le retour de sa fille qui a disparu depuis deux semaines.
Plus que jamais, le nombre de familles sans domicile a explosé, jusqu'à représenter environ 80% de la population de sans-abris présents dans les foyers (statistiques officielles).

«Entendre ces histoires toutes les semaines laisse un poids sur le cœur qui reste avec toi jusqu'au dimanche suivant.» avoue P.J.

Nous avançons progressivement vers Union square, c'est là que PJ espère trouver Maggs. Âgée de 86 ans, Maggs survit en dehors du système depuis de nombreuses années. Cela fait plusieurs mois que l'association l'assiste dans ses démarches administratives pour trouver un logement «nous avons toute une équipe consacrée à cela» mais maintenir le contact n'est pas toujours facile: «Il est arrivé une fois que nous perdions de vue Maggs pendant trois semaines, quand enfin nous l'avions retrouvée, elle nous avait oublié, il a fallu tout reprendre à zéro»

Sous les échafaudages de la 2ème avenue, est assise Skylar-Anne Black, 22 ans: «C'est l’avantage d'être transgenre, on peut choisir son nom.» blague-t-elle. «Parfois, je ne comprend pas comment j'en suis arrivée là, j'ai l'impression que tout s'est passé en clin d’œil. J’étais comme eux avant, poursuit-elle en montrant les passants du doigt, je ne m’arrêtai jamais pour un SDF, je ne les regardai même pas. Pourquoi tu dois tout perdre pour comprendre l'importance de la gentillesse?»

Nous atteignons le parc Union Square, PJ continu sa distribution mais il y a une urgence dans ses pas, il tourne régulièrement son regard vers la station de métro «C'est là que j'ai vu Maggs l'autre jour». Petit à petit, le nombre de sachets blancs s'amenuisent jusqu'à qu'il n'en reste plus qu'un.
PJ me demande cette fois de cacher mon appareil photo, mon carnet, mon stylo. Nous nous engageons dans la station et PJ sonde la nuée de gens, accélère le rythme dès qu'il croit apercevoir la veille dame et sa frustration monte à chaque méprise. Puis, sur le quai le plus fréquenté de la station, voilà Maggs, assise sur un banc. Malgré la foule, pas un regard n'est tourné dans sa direction, seul PJ semble la remarquer.

La station est chaude mais Maggs est emmitouflée dans un gros manteau et ses cheveux blancs sont cachés sous un bonnet gris. Le dos droit, le regard vif et attentif, Maggs reconnaît Pj immédiatement, accepte le sachet contenant le repas mais ne l'ouvre pas. Lorsque le fondateur de 10000 PB&J's lui parle de logement Maggs est évasive «Oui, je vais y réfléchir». PJ n'est pas déçu par cette réponse «A son accent je devine qu'elle est New-Yorkaise, les New-Yorkais ne donnent pas leur confiance facilement. Avec le temps, ça viendra.»

10 000 PB&J's n'a pas les moyens d'assurer le futur de Skylar-Anne, n'est pas en mesure promettre à la mère le retour de sa fille disparue et ne peut pas garantir que les jumeaux ne naîtront pas dans la pauvreté. Pour autant leur travail est loin d'être sans valeur, car semaine après semaine, PJ et ses bénévoles refusent obstinément de laisser les SDF tomber dans l'anonymat. Les mots de Victor Hugo: «Le propre de la solidarité, c'est de ne point admettre d'exclusion.» semblent avoir voyagé jusqu'en Amérique.

Sarah HOUMSI

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