Ingérence américaine en Haïti !
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| Jonathan Chaste | Politique Internationale | Conflit  Vu 152387 fois
Article N°25171

Ingérence américaine en Haïti !

Interview géostratégique de Lamothe DESIR, économiste ; politologue, expert en stratégie et intelligence économique, diplômé de l’Université d’Etat d’Haïti, de l’Université Lille 1, de l’Ecole de Guerre Economique (EGE) de Paris ; Professeur des Universités et cadre Senior de l’Etat.
 

Jonathan CHASTE.  Quelle est la situation actuelle d’Haïti ?

Lamothe DESIR. Actuellement Haïti est dans une crise totale. Elle est à la fois socioéconomique, politique, sanitaire etc. La situation actuelle d’Haïti est très chaotique, pour être bref. En fait, les signaux faibles montrent que le pire nous attend à l’horizon de la deuxième moitié de cette année et au début de l’année prochaine vu que les questions de referendum et d’élections qui devraient y avoir lieu en juin et octobre de cette année. Ces deux projets gouvernementaux risquent de plonger le Pays, déjà fragilisé, dans une crise sans précédent. Cela risque même de remettre en question l’existence de notre Etat, selon l’avis de plus d’un.  
La question essentielle qu’il faut se poser est la suivante : A qui profite le malheur d’Haïti ? Qui fabrique les crises récurrentes qui rongent Haïti et/ou les haïtiens? Comment s’en sortir ? Peut-être, notre Ecole d’intelligence économique pourra aider à trouver des éléments de réponses à ces questions et à bien d’autres.
 
  • JC. Qu’est-ce qui vous a motivé à créer une école d’intelligence économique en Haïti ?
LD - Nous sommes très conscients que le monde d’aujourd’hui est devenu un champ de bataille économique. Il est vrai qu’Haïti est relativement un petit pays, mais il est bien concerné par ces conflits économiques. D’ailleurs, Haïti est l’une des plus grandes victimes d’affrontements économiques mondiaux. Il suffit tout simplement de jeter un coup d'œil rétrospectif sur l’histoire d’Haïti pour comprendre comment « nos amis » nous font la guerre avec, le plus souvent, les moyens de la paix. Et nous sommes conscients aussi que l’intelligence économique est la seule solution à la guerre économique. Voilà donc pourquoi, nous avons pensé à fonder cette école d’intelligence économique en Haïti. C’est donc dans le but de comprendre les rapports de forces économiques mondiaux afin de pouvoir mieux nous armer intellectuellement, cognitivement, psychologiquement, pour y faire face. Bref, nous voulons former de jeunes guerriers économiques.
 
  • JC. Quel est le programme de votre Ecole d’Intelligence Economique ?
LD - L'École Supérieure de Management Stratégique et d’Intelligence Économique d’Haïti (ESMIE) est fondée le 21 novembre 2020 par un groupe d'intellectuels haïtiens qui sont conscients de la réalité de la Guerre Économique qui ravage cette portion de terre depuis plus de cinq cents ans.  Les fondateurs de cette École se sont inspirés de la philosophie de l’École de Guerre Économique de Paris (EGE) dont je suis diplômé d’un MBA spécialisé en Stratégie et Intelligence économique.
L’ESMIE a des missions très ambitieuses, et pour les accomplir, elle entend établir des partenariats avec d’autres universités haïtiennes et étrangères, et, surtout avec des grandes écoles spécialisées en Intelligence Economique.
L’ESMIE entend offrir une formation de qualité supérieure dans les domaines de management stratégique, d’intelligence économique, d’entrepreneuriat et d’intelligence d’affaires.
Elle mettra aussi en place un Centre d’Incubation de Startups dans le but d’aider les étudiants à formaliser leurs idées de projet et à créer et développer leurs propres entreprises.
L’ESMIE créera également, de concert avec ECODEF BUSINESS PARTENRS, son partenaire historique, un fonds d’investissement qui sera alimenté prioritairement par une fraction des frais de scolarité des étudiants. Ce fonds est destiné à financer les meilleurs projets incubés par le Centre d’Incubation de Startups.
Pour ainsi dire, l’ESMIE est une École libre. Ainsi, elle ne restera point enfermée dans le schéma classique des universités et écoles traditionnelles ; c’est-à-dire, elle ne se contentera pas de délivrer des diplômes aux étudiants et les laisser à la merci des aléas et incertitudes de la vie. Elle les accompagnera durant toute la période de la formation et, dans une certaine mesure, dans leur vie professionnelle.
 
  • JC. Comment le gouvernement haïtien a perçu la création de cette Université ?
LD – Je ne suis pas trop sûr que le gouvernement haïtien, dans toute sa globalité, soit trop intéressé à la question d’intelligence économique, du moins pour le moment. Il faut dire que ce concept est très nouveau en Haïti. En revanche, parallèlement à la mise en place de cette structure, nous sommes en train de concevoir et de formuler un projet de « système d’intelligence économique » qui devrait être implémenté par le Ministère du Commerce et de l’Industrie. Il faut avouer que cette idée de projet est bien appréciée par les responsables de ce ministère. Et toutes les autres parties prenantes l'ont apparemment bien accueillie et sont prêtes à collaborer à sa mise en œuvre. On peut dire qu'il y a de l’espoir pour le développement économique d'Haïti, même si nous ne pouvons pas préciser quand ce méga-chantier sera lancé et par qui. Nous donnons aussi des conférences dans plusieurs universités de la place, toujours dans le but de promouvoir l’IE en Haïti. Et dans le champ académique le concept est très bien accueilli.
 
  • JC. L’intelligence économique, peut-elle être un outil de défense et d’attaque pour le rayonnement d’Haïti ? si oui, dans quelle mesure ?
LD - Effectivement, l’intelligence économique a une double dimension défensive et offensive. Mais étant donné ses situations historiques, socioéconomiques et géostratégiques notamment, Haïti n’a pas intérêt à être trop agressive. D’ailleurs, elle n’aurait pas les moyens nécessaires. Haïti est un faible et beaucoup de ses adversaires sont des forts. Donc Haïti a seulement intérêt à comprendre les enjeux géoéconomiques, géopolitiques et surtout géostratégiques dans le but de se positionner sur ces échiquiers pour au moins limiter les dégâts. En ce sens, la résilience et l’encerclement cognitifs sont entre autres deux concepts majeurs qui seront appréhendés par nos étudiants.
 
  • JC.   Les USA revendiquent que l’ile de la Navasse (au large d’Haïti) leur appartient. Est-ce qu’il y a une ingérence américaine en Haïti ? Est-ce la continuité du déploiement de la doctrine Monroe ?
LD. Il n’est plus un secret pour personne. L’ingérence américaine en Haïti est très visible. Le gouvernement haïtien actuel ne peut prendre aucune décision politique majeure sans l’avis des USA. Pis est, certaines décisions sont purement et simplement imposées par les Etats-Unis et exécutées servilement par les actuels dirigeants haïtiens. Et le plus souvent c’est seulement dans l’intérêt des USA et contre l’intérêt du peuple haïtien que ces décisions sont faites. S’il est difficile de comprendre pourquoi, il est évident que les USA sont le premier des obstacles au développement socioéconomique d’Haïti. En fait, il ne s'agit pas que d'Haïti. Presque tous les autres pays de l’Amérique latine et de la Caraïbe subissent l’ingérence destructrice des USA, mais le cas d’Haïti est pire. Cela, se rapporte-t-il à notre hardiesse historique ? Je ne sais pas trop.
Les enjeux et les intérêts américains en Haïti ne se résument pas à l’ile de la Navasse. C’est plus compliqué et plus complexe que ça.  L’ile de la Navasse n’est que la face visible de l’iceberg.
 
  • JC.  Quelle est la place d’Haïti sur l’échiquier géopolitique?
LD - Je ne pense pas qu’Haïti occupe une place importance sur l’échiquier géopolitique. Haïti est un pion que les USA utilisent particulièrement lorsqu’ ils ont besoin d'un vote à l’OEA et à l’ONU pour exclure un membre d’une organisation comme Cuba de l’OEA ou sanctionner un pays comme le Venezuela récemment.

 
  • JC. Actuellement il y a une guerre commerciale entre la Chine et les USA. Quelles incidences sur Haïti ? Y a-t-il une relation diplomatique, économique, commerciale entre Haïti et la Chine ? Et quelle est la position des USA dans le rapport sino-haïtien ?
LD - C’est une excellente interrogation. Haïti se trouve dans une situation très délicate, voire fragile, dans les conflits commerciaux opposant la Chine et les USA. Pour comprendre un peu cette complexité, il faut regarder les intérêts de ces pays vis-à-vis d’Haïti. Des intérêts qui ne sont pas compatibles. D’abord, sur le plan diplomatique, il n'y a pas vraiment une relation entre la Chine et Haïti. Si le Gouvernement chinois souhaite et exprime clairement sa volonté d’établir une relation diplomatique avec Haïti, ce souhait ne semble pas partagé par le gouvernement haïtien actuel. Voici les explications que je peux fournir par rapport au refus d'Haïti de développer des relations avec la Chine :
L’influence, voire l’ingérence, américaine et la question de Taiwan. En fait, Haïti ne peut pas avoir une relation diplomatique avec Taiwan et la Chine en même temps, car celle-ci considère que Taiwan est une partie intégrante et intégrée de son pays. Donc Haïti doit faire un choix entre Taiwan et la Chine.  Le gouvernement a déjà fait le choix de Taiwan même s’il est indiscutable que le choix de la Chine aurait été beaucoup plus profitable pour Haïti, pour le peuple haïtien en tout cas. Je ne connais pas le motif du choix du gouvernement. Est-ce pour des raisons stratégiques ou personnelles ? Je ne sais pas. Est-ce sous la pression ou tout simplement sur la demande des USA que le gouvernement haïtien a fait ce choix, je ne sais trop.   Est-ce pour plaire au Gouvernement américain ? Je ne sais pas non plus. Mais ce dont je suis sûr, c'est que la préférence de Taiwan à la Chine n'est pas motivée par un choix économique. Car, sur le plan strictement économique, les relations sino-haïtiennes auraient été de loin avantageuses pour les haïtiens par rapport à celles développées par Haïti avec Taiwan.
Sur le plan commercial, on peut dire qu'Haïti développe une certaine relation avec la Chine.  Celle-ci dispose d'un Bureau de Développement Commercial en Haïti. De même, par le principe de réciprocité, Haïti dispose aussi d'un bureau du même genre en Chine. Ainsi, les échanges annuels entre ces deux pays avoisinent les 800 millions de dollars américains même si la balance est nettement penchée sur le côté chinois. En 2018, les exportations chinoises vers Haïti étaient environ 7 fois celles d’Haïti vers la Chine soit une balance commerciale bilatérale nettement déficitaire pour Haïti. Mais ce rapport est encore plus catastrophique entre Haïti et les USA qui sont son prétendu partenaire commercial privilégié.
Sur le plan économique, la Chine exprime sa volonté d’investir en Haïti à condition qu’il abandonne ses relations diplomatiques avec le Taiwan. Cela sous-entend qu'Haïti doit cesser de reconnaitre Taiwan comme un Etat. La Chine continue à séduire Haïti, mais les enjeux géopolitiques sont si énormes que les USA ne laisseront pas, du moins aussi facilement, la deuxième puissance économique du monde partager avec eux ce petit pays de la Caraïbe. Les USA ont avoué haut et fort d’ailleurs qu’Haïti est leur arrière-cour.  Bref, Taiwan, plus encore pour les USA, constituent deux obstacles majeurs pour que s'établisse une réelle et « fructueuse » relation (diplomatico- économique) entre Haïti et la Chine.
Merci !!!!

 

jonathan CHASTE

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